quarta-feira, 10 de fevereiro de 2016

PEQUENA HISTÓRIA DE UM TIO. Proximamente a tradução em português


Zi Gecco




Jamais l'abbaye des frères cisterciens n'avait vu autant de monde comme ce fut le cas le jour des funérailles de Zi Gecco. Entre amis et curieux, les visiteurs était tellement nombreux que l'abbé dut charger un peloton de novices pour que la file se déroule en bon ordre devant le cercueil.
Zi Gecco n'était pas un notable ni un politique important, mais c'était l'homme du Chêne. Celui qui parlait aux chiens mais surtout connu à cent kilomètres à la ronde comme l'infaillible météorologue au palo de la trinità. Enveloppé de mystère, personne n'avait pu dire avec précision, au moment de rédiger son acte de décès, la durée de sa vie. On l'avait traité de fou, de philosophe ou de sorcier, selon le degré des préjugés. À présent qu'il ne prévoyait plus rien, on s'était déplacé de loin, juste pour s'arrêter un instant devant le couvercle fermé de sa caisse, fabriquée à toute vitesse par un menuisier du coin qui avait exigé que la dernière demeure de Zi Gecco soit faite du bois de ce même vieux Chêne qui l'avait abrité durant sa vie. Car en ce jour, on ne plaignait pas seulement la mort de Zi Gecco, brûlé vif, mais aussi de l'assassinat de ce colosse séculaire abattu à la tronçonneuse encore en pleine santé. Ce qui avait sans doute poussé Zi Gecco à frotter sa dernière allumette.
Mais allons voir.
Le drame allait se consommer un vendredi de Pâques, quand à 07h pile Zi Gecco descendait sa butte à petit pas, suivi par ses onze chiens. Il avait du mal à comprendre mais ce matin-là, une insolite hésitation des chiens à l'heure de se mettre en route lui suggérait que quelque chose ne tournait pas rond.
Cela donnait à réfléchir.
Il boucha rapidement l'entrée de sa cabane avec une grosse boule de ronces, comme il le faisait chaque matin avant de descendre jusqu'à son vieux chêne, dont les branches séculaires l'abritaient de la pluie et du soleil à longueur de jour.
Cet arbre, dont le tronc demandait six bras d'homme pour l'entourer, gardait l'entrée de l'ancienne abbaye des frères cisterciens comme un maître du temps. L'homme était arrivé sur la lune, l'urbanisation avait dévoré mer et monts, mais pas une goutte de ciment n'avait encore coulé sur ce doux versant des Préappenins où, ayant échappé à la convoitise des agro-industriels, les oliviers tordus par les siècles escaladaient paresseusement la pente, jusqu'où la neige le permettait.
Depuis bien longtemps, quand ne passaient encore sur cette route départementale que de ânes et quelque rares Fiat menant les autorités en ville, Zi Gecco passait déjà ses jours en apprenant le langage des chiens à l'ombre du chêne. Il n'était pas vraiment croyant, ni ne s'était d'ailleurs jamais posé ce genre de questions, mais même ainsi, les frères de l'abbaye, le trouvant inoffensif, avaient pris l'habitude d’ajouter un plat de soupe à table. Il acceptait, plus pour entretenir des relations de bon voisinage que par nécessité, vu que, à manger et à boire pour lui et ses bestioles, il en avait souvent de trop. Sa première occupation en arrivant sur place était de décrocher toute sorte de paquets que ses nombreux amis prenaient soin de lui laisser bien à l'abri de fourmis.
Zi Gecco était singulier, sans doute, mais tout le monde avait de l'affection pour lui et, à part les notables qui n'ont jamais le temps de s'arrêter, les vachers, les bergers, des écoliers aussi, lui laissaient toujours chemin faisant une petite pensée suspendue à son arbre. Et lui, dès son arrivée, il séparait la nourriture pour lui ou pour ses chiens et, selon la chaleur, allait conserver les denrées périssables dans le ruisseau d'à côté. Le reste de la journée ne se prêtait pas à l’ennui.
Même dans ce petit coin ignoré par la voracité de l'homme, les effets du temps se faisaient sentir et maintenant, Zi Gecco avait parfois du mal à s'occuper de tout ce monde qui, au fur et à mesure, avait remplacé l’âne pour une voiture et les pâturages pour une usine. Mais Zi Gecco, à l'ère de la télé et des satellites, était toujours le seul météorologue digne de confiance absolue. Une réputation conquise et méritée à travers des décades de pronostics d'une précision stupéfiante. De mémoire d'homme, il n'avait jamais raté une pluie, un sirocco ou une tempête. Voila pourquoi, en dépit de la difficulté à se garer près du chêne, de père en fils on restait fidèles aux prévisions indéfectibles de celui qui parlait avec les chiens. Parmi ceux qui s'arrêtaient pour le consulter, beaucoup ne se préoccupaient guère de savoir s'il allait faire bon ou mauvais, mais il était difficile de passer par ce chêne sans y faire une halte pour caresser quelques petites têtes de ses bestioles et surtout, surtout voir Zi Gecco tourner autour de son palo de la trinità, les yeux fermés, narines dilatées, pendant que ses bras moulinaient l'air dans un frénétique mouvement circulaire inversé. Cela ne durait pas plus d'une ou deux minutes au maximum, cela dépendait de la distance et de la vitesse du courant d'air à prévoir.
Combien de fois, avec un ciel totalement dégagé et sans un fil de vent, il avait surpris ses patients – c'était ainsi qu'il les appelait- en leur annonçant une averse de grêle dans l'heure à venir. Il ne manquait pas de sceptiques qui attendaient sur place, dans la certitude de pouvoir ensuite se moquer de lui. Inévitablement, on voyait sans tarder l'incrédule courir à toute vitesse à sa voiture, frappé par les grêlons. A ces occasions, Zi Gecco n'avait jamais rien a redire. Il allait se nicher dans une confortable cavité à la base du tronc du chêne et là, il se marrait tout doucement des caprices du temps et plaisantait avec les chiens.
Bien sûr, Zi Gecco avait ses soucis comme tout le monde. Il y eut par exemple un moment, et cela à cause d'un de ces mystiques chevelus qui parlait comme une machine à coudre et qui s'était mis allez savoir quoi en tête, où un tas de gens, y compris une équipe de télévision, s'étaient un beau jour pointés au chêne avec l'absurde prétention d’emporter avec eux son palo de la trinità pour le faire analyser. L'étudier, comme ils disaient. On cherchait à le convaincre, on lui disait surtout qu'il ne pouvait pas s'opposer au progrès, empêcher la science de faire ce qui lui revenait de droit, etc. Enfin, il leur fallait faire la lumière sur cette légende qui, disons-le, avait déjà créé assez de malentendus.
Même n'ayant pas compris tout de leur arguments, Zi Gecco ne manqua pas de patience en leur expliquant que son palo n'avait vraiment rien de spécial, qu'il l'appelait de la trinitá tout simplement parce qu'il l'avait coupé dans une vallée voisine qui portait ce nom. Ce n'était qu'un bâton, fait avec la troisième branche polie d'un châtaigner quelconque, comme en trouvait partout dans le coin. Et s'ils étaient vraiment intéressés, il pouvait leur en procurer une dizaine exactement semblables, il fallait juste attendre la lune décroissante. Mais celui-ci, son palo, alors là non, pas question de s'en séparer. C'était affectif. Ses chiens, d'ailleurs, ne l'auraient jamais permis. Ainsi disant, il extirpa son palo du sol, là où il le plantait chaque matin, et à l'instant même un chien roux vint le prendre dans sa gueule et dévala la pente à toute vitesse.
Le mystère de son infaillibilité sur les prévisions du temps, qui à une époque révolue était resté circonscrit aux foyers des environs courait maintenant de bouche en bouche, alimentant la curiosité, mais attisant aussi la convoitise de certains coquins qui auraient tout fait pour s'approprier le fameux palo de la trinità. Sa cabane avait été fouillée à plusieurs reprises et une fois, il avait été même surpris et drogué en pleine nuit. Le lendemain, il s’était réveillé dehors, au milieu de dizaine de trous creusés tout autour. On avait emporté tout ce qui pourrait ressembler à un fétiche, tout objet aux senteurs de potions magique. Il ne s'en faisait pas, sauf pour ses chiens qui, avec leur masse corporelle plus faible, avaient plus de mal que lui à se remettre du somnifère qui leur avait aussi été administré. Une fois seulement, découvrant la disparition d'une marmite en cuivre emportée lors d’un de ces pillages, il fut sacrement touché. À croire que ce chaudron, qui avait servi depuis toujours à préparer des décoctions incomparables contre les rhumatismes, était un vestige, peut-être le dernier, qui par un fil d'éther le rattachait à l'origine où résidait la raison de son existence. Pour la première fois, cédant au chagrin, il avait déserté son chêne pendant deux ou trois jours.
Autrefois on se serait vite inquiété de cette absence, mais les temps changent et, avec la télévision qui remplace tout et dit vrai même quand elle se trompe, on n’avait plus le temps d'aller voir ce qui était arrivé à Zi Gecco, qui n’avait pas touché à ses sacs de nourriture pendus au chêne.
Au fond, ceux qui s'intéressaient encore sérieusement à ses prévisions sans faille ou à son palo, étaient plus des scientifiques excentriques ou des chasseurs de trésors que la progéniture du coin, qui travaillait désormais en ville. S’ils lui sacrifiaient encore quelque minute, c'était par vague respect pour la tradition, à peine, et parfois sans même descendre de voiture. Si les parents de ces nouveaux employés pressés étaient encore vivants, les fistons, pour qui le bon ou mauvais temps ne changeait en rien leur routine, n’oubliaient pas que Zi Gecco n'était pas qu'un baromètre à consulter à l’occasion. Loin de là, Zi Gecco était un esprit unique : le seul être vivant connu qui, par des circonstances extraordinaires, n'avait pas eu besoin d'abandonner l'instinct animal pour acquérir l’intelligence humaine. Il avait tout naturellement la faculté de conjuguer le kairos avec le conceptuel ; le don de combiner à justes doses diagnostic et pronostic, mais dont la précision n'était pas explicable, sinon par la présumée magie de son totem : le palo de la trinità.
Les anciens avaient bien senti que Zi Gecco n'était pas comme les autres. Ils n'auraient pas su dire ce qu'il avait de spécial, mais ils savaient avec certitude que cet homme sans âge qui parlait aux chiens était plus qu'un baromètre et ils ne cherchaient pas plus loin. Au contraire de leurs fils et petits-fils, qui se limitaient aujourd'hui à nourrir une légende, histoire de ne pas crever d’ennui, leurs vieux le respectaient et le craignaient.
Mais, comme on disait, le monde change et avec les nouvelles générations, nous avons ceux des vallées qui vont s'intoxiquer dans les bureaux en ville et d’autres qui quittent la ville et essayent d'oublier l'omniprésence des ordinateurs en tirant sur un joint à l'air libre. Attirés par le tempérament pacifique, mais surtout à cause de certaines formulations verbales qu'on trouvaient foisonnantes, ces derniers avaient pris l'habitude de se retrouver au coucher du soleil sous le vieux chêne de Zi Gecco. D'ailleurs, une ancienne abbaye enfoncée dans la fraîcheur et la paix des oliviers centenaires, le fracas des eaux roulant les pierres du torrent d'à côté, et cet homme qui devine le temps et parle aux chiens comme Saint François le faisait avec ses oiseaux, y avait-il meilleur tableau pour ces jeunes en quête d'épanouissement ?
Zi Gecco recevait tout le monde, le chêne ne s'en plaignait pas et, tout comme lui, ses chiens n'avaient rien à redire non plus à l'odeur douceâtre de la fumette. Cela leur semblait même moins suspect que les litrons de blanc que certains paysans respectables du coin venaient encore se siffler dans le seul endroit où leur femmes n'auraient jamais mis les pieds. Car Zi Gecco et son chêne n'étaient pas dans les grâces de certains foyers catholiques apostoliques et romains, lesquels chaque dimanche allaient à la queue leu leu se confesser chez les cisterciens, surtout pour leur demander de virer enfin cet hérétique et son palo ensorcelé de ce lieu bénit.
De son côté, loin d'imaginer de telles réactions de rejet, Zi Gecco et ses chiens avaient toujours en réserve un petit numéro, de quoi surprendre allègrement quiconque passait par là sans oublier de jeter un coup d’œil à ce bon chêne, témoin impérissable d'un monde franc fait pour ne déplaire à personne.
Mais voilà que depuis qu'on a commencé à s'en occuper sérieusement, la liberté s'est vite révélée être un bien trop lucratif pour la laisser dormir à l'ombre des chênes ou des oliviers. Un esprit libre est un guerrier et la liberté est un butin de guerre. Ceci, Zi Gecco ne le savait pas, et ses nouveaux ''patients '' n'étaient pas ici pour y veiller.
Néanmoins, parmi ces drôles d'oiseaux urbains qui venaient en fin de journée dégourdir ses ailes chez lui, l’un d’eux avait essayé de le mettre en garde contre les maîtres des ténèbres qui engloutissent tout sur leur chemin, avec une claire préférence pour les vieux chênes et leurs derniers habitants. Gentil comme il l'était, Zi Gecco semblait écouter les bons conseils de tout le monde. Mais dès que les voitures des ces jeunes sages redémarraient, toute ces recommandations s'envolaient comme un dernier vol d'oiseaux effrayé. Et le lendemain ne serait qu'un autre jour, égal et différent comme l'éternité.
Sauf ce matin du vendredi de Pâques.
Depuis sa cabane, Zi Gecco prenait toujours un raccourci à travers le bois qui débouchait abruptement sur la départementale, juste en face du chêne. Les chiens qui d'habitude le devançaient, traînaient étrangement ce matin derrière lui. Au point que Zi Gecco dut s'arrêter à plusieurs reprises pour leur demander raison de cette gênante paresse. Les chiens écoutaient ses réprimandes la tête entre les pattes, dans un mutisme déconcertant. Un frisson parcourut le dos de Zi Gecco, l'air était frais et les buissons brillaient sous la rosée du matin. Il encouragea ses bestioles et allongea le pas.
À l'instant où il sauta sur le goudron de la départementale, un rayon de soleil le frappa au visage comme une lame de feu. Il recula, ferma les yeux, les chiens tous ensemble émirent un seul gémissement aigu. Quelque chose ne tournait vraiment pas rond. Ce soleil ne devrait pas être là, pas comme cela. C'est-à-dire, il était bien à l'heure, et chez lui. Voyons, qui pourrait se permettre de lui donner des ordres, seulement que... Le chêne, c'était son chêne qui n'était plus à sa place ! Il s'était couché. Le soleil montait dans le ciel, ses dards ardents avaient aveuglé Zi Gecco, mais le chêne gisait sur le flanc, indifférent aux cris des oiseaux qui voletaient au dessus de ses branches à la recherche désespérée d'un signe de vie.
Pendant le temps d'une longue réflexion, Zi Gecco regarda, fasciné, le disque candide de l’arbre scié, hypnotisé par la blancheur monumentale qui pulsait encore du tronc juste abattu. Puis les chiens mordirent ses pantalons, saignèrent ses mollets, jusqu'à l'arracher du goudron et l'obliger à regagner la protection ombrageuse du bois.
Zi Gecco recula alors un pas après l'autre. Arrivé à sa cabane,
avec un cri horrifiant, il dispersa ses onze chiens, puis écarta la boule de ronces, pénétra à l’intérieur, s'agenouilla devant son palo de la trinitá et craqua sa dernière allumette.

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